PARLONS-EN. L’intelligence artificielle (IA) est bien plus qu’un simple progrès technologique : elle incarne une nouvelle révolution industrielle. Partout dans le monde, elle transforme les économies, bouleverse les modèles d’affaires, et redéfinit les relations entre les humains et les machines.
Pour l’Afrique, continent jeune, dynamique mais confronté à de nombreux défis structurels, investir dans l’IA ne représente pas une option secondaire, mais une réelle opportunité de transformation. Loin des discours alarmistes sur la « machine qui remplace l’homme », l’IA pourrait bien être un catalyseur de développement durable, d’innovation sociale et d’indépendance économique pour le continent.
- Répondre aux défis structurels avec des solutions intelligentes
L’Afrique est confrontée à des défis profonds : accès inégal à l’éducation et aux soins, infrastructures déficientes, services publics surchargés, et changements climatiques qui menacent les moyens de subsistance de millions de personnes. L’IA peut jouer un rôle décisif dans l’amélioration des conditions de vie des populations.
Prenons le domaine de la santé. Dans des régions où les médecins manquent cruellement, des applications basées sur l’IA peuvent aider à poser des diagnostics, lire des radiographies, ou orienter les patients vers des soins adaptés, même à distance. Des start-ups africaines commencent déjà à utiliser l’IA pour détecter des maladies comme la tuberculose, la malaria ou les complications liées à la grossesse.
En agriculture, secteur vital pour l’économie de nombreux pays africains, l’intelligence artificielle permet de prédire les rendements, d’analyser la qualité des sols grâce à des images satellites, et d’alerter les agriculteurs en cas de conditions météorologiques extrêmes. Cela contribue à une agriculture plus productive, durable et résiliente.
- Créer des opportunités économiques et des emplois d’avenir
Contrairement à certaines idées reçues, l’IA ne supprime pas seulement des emplois : elle en crée aussi de nouveaux. Bien utilisée, elle peut être un formidable levier pour diversifier l’économie africaine, souvent trop dépendante des matières premières et peu industrialisée.
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L’IA alimente aujourd’hui des secteurs comme la fintech, l’e-commerce, la logistique, ou encore l’énergie. Par exemple, des entreprises utilisent des algorithmes d’IA pour accorder des microcrédits à des populations non bancarisées, en analysant des données alternatives comme les habitudes de consommation ou la géolocalisation.
Mais au-delà de ces usages, l’IA représente aussi une source d’emplois qualifiés. Data scientists, ingénieurs en apprentissage automatique, spécialistes de l’éthique de l’IA, développeurs d’applications intelligentes… Ce sont autant de métiers en forte demande dans le monde, et l’Afrique a tout intérêt à former ses jeunes à ces compétences de demain. Le continent étant le plus jeune du monde – avec près de 60 % de la population âgée de moins de 25 ans – il possède un atout unique pour bâtir un vivier de talents compétents dans le domaine de l’intelligence artificielle.
- Développer des solutions africaines pour des problèmes africains
Un des risques majeurs de la révolution numérique, c’est que les technologies soient conçues ailleurs, avec des données venues d’ailleurs, et qu’elles ne répondent pas aux réalités locales. Aujourd’hui, la plupart des systèmes d’IA sont développés en Amérique du Nord, en Europe ou en Asie, à partir de données peu représentatives du continent africain. Résultat : des outils peu adaptés aux langues locales, aux usages culturels, ou aux défis spécifiques des sociétés africaines.
Investir dans l’IA, c’est aussi reprendre la main sur les données africaines, et concevoir des solutions pensées par et pour les Africains. C’est par exemple développer des interfaces vocales en langues locales pour les services publics, ou entraîner des modèles capables de comprendre les réalités linguistiques, géographiques et économiques des pays du continent. C’est aussi poser les bases d’une souveraineté numérique, indispensable dans un monde où les données valent de l’or.
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- Saisir l’opportunité de la quatrième révolution industrielle
L’histoire industrielle du monde a souvent laissé l’Afrique en marge. Que ce soit lors de la première révolution industrielle (mécanisation), de la seconde (électricité et production de masse), ou de la troisième (numérique), le continent a été plus consommateur que créateur de technologie. La révolution de l’IA peut être différente.
Aujourd’hui, il n’est pas nécessaire d’avoir une grande infrastructure physique pour innover. Un ordinateur, une connexion Internet, des jeux de données ouverts et une bonne formation suffisent parfois à créer des solutions de rupture. De plus, l’open source et la collaboration internationale facilitent l’entrée dans le monde de l’IA, même avec des ressources limitées.
Plusieurs pays africains commencent à prendre le virage. Le Rwanda a lancé une politique nationale d’IA pour améliorer ses services publics. Le Maroc mise sur la formation de talents en data science. Le Nigeria héberge un écosystème de start-ups technologiques très dynamique. Ces initiatives montrent que le mouvement est déjà en marche, mais il doit être généralisé à une échelle continentale.
- Pour un développement inclusif et éthique
Enfin, l’Afrique a une opportunité rare : celle de concevoir une IA inclusive, éthique et au service de l’humain. Là où d’autres régions du monde font face aux dérives de l’ultra-surveillance, de la désinformation automatisée ou de l’exploitation des données personnelles, l’Afrique peut inventer un autre modèle. Un modèle où l’IA est un outil au service du bien commun, un levier pour l’inclusion sociale, et un support à la décision humaine, et non un substitut.
Cela suppose de former, réguler, investir, mais aussi de coopérer. Coopérer entre pays africains, avec les diasporas, avec les universités, avec les grandes organisations internationales. L’IA ne doit pas être l’affaire de quelques ingénieurs dans des laboratoires : elle doit être discutée, pensée, encadrée, pour qu’elle profite au plus grand nombre.
Conclusion
L’Afrique ne peut pas se permettre de rester spectatrice de la révolution de l’intelligence artificielle. Elle doit en être actrice, voire même pionnière dans certains domaines. En investissant dans l’IA dès aujourd’hui, le continent peut rattraper son retard technologique, résoudre des problèmes de manière innovante, créer des emplois durables, et surtout, construire un futur à son image.
Car au fond, l’IA n’est pas seulement une affaire de machines. C’est une affaire de vision, d’ambition, et d’humains. Et dans ce domaine, l’Afrique a tout pour réussir.
Par Ahmed OUTZOURHIT
Directeur de l’école d’Ingénierie
Institut Supérieur d’Ingénierie et des Affaires
ISGA – Marrakech